Cet  été, je tombe la veste !

Cet été, je tombe la veste. Il fait beaucoup trop chaud pour ça. Même si ça me paraît d’une logique implacable, étant donné la vague de chaleur insupportable qui déferle sur nous, les irréductibles sartorialistes sont nombreux à remettre ce constat en question défendant une élégance rigoureuse en toutes circonstances. Alors? Peut-on vraiment porter la veste l’été ou n’est-ce que de la frime ?

source : ©Hergé - Tintinimaginatio

Rumeur médiatique et réalité du terrain

L’été est là, enfin. Il apporte avec lui les vacances, le soleil et …de fortes températures. Hier, 40°C avec 80% d’humidité sur l’île de Montréal… on transpire rien qu’en lisant MétéoMédia! De quoi vouloir rester bien à l’abri chez soi. Dans la fraîcheur de mon salon, je «scrolle» sur Instagram pour voir comment la sartosphère s’en sort, surtout en Italie. Avec leur 70°C au sol, j’imaginais que les Dandys du monde entier avaient passé le Pitti en slip.

Eh ben pas du tout!

Sur les réseaux-sociaux, le message est unanime : cet été, les sartos n’en rabattent sur rien! On porte la veste et même le gilet! Comment ne pas être fasciné devant pareille démonstration d’élégance dans des conditions extrêmes? Les plus beaux gentlemen bravent les températures infernales en trois pièces, fiers comme des paons, imperméables aux attaques du soleil.

(Ivan LVB)

source : Ivan LVB

On est en droit de se demander comment il font concrètement : moi, si je sors faire une petite balade de santé fringué de la sorte, je rentre en nage et on me trouve à l’odeur.

Comment expliquer cela ? Eux, ils déambulent comme si de rien était ; toi, tu fais cent mètres et c’est les chutes du Niagara.

Je pourrais me contenter de dire que les réseaux sociaux sont un miroir déformant de la réalité, et que ce qu’on y voit est souvent mis en scène (il ne faut pas être naïf : il y a des enjeux commerciaux derrière tout ça). Mais je veux être plus nuancé. Quand je reçois des témoignages de personnes qui pratiquent ce… port de la veste en été, et qu’ils m’assurent s’y être habitués, je suis bien obligé de les croire. Il semblerait que la question soit plus complexe.


La veste est une pièce compliquée sous les fortes chaleurs. Il ne faut pas croire que c’est une armure sur laquelle glissent les rayons du soleil ou un parasol ambulant dès lors qu’elle coûte mille dollars et porte l’étiquette d’une prestigieuse filature italienne. Fondamentalement, c’est un vêtement fait pour tenir chaud. Or, il fait déjà chaud… trop chaud. En toute bonne logique, on ne la porterait pas s’il faisait bon. On la choisira donc, dans ces conditions, pour des critères avant tout esthétiques.

 
À moins que nos influenceurs préférés ne régulent leur température en tirant la langue comme des lézards, il faut considérer plusieurs autres paramètres :

  • La routine de vie : ils ne courent peut-être pas un marathon sous le soleil. La plupart du temps, ils ne font que passer d’un espace climatisé à un autre : de chez eux à la voiture, de la voiture au bureau, du bureau au café, du café au hall d’hôtel…

  • La complexion : certaines personnes sont naturellement plus tolérantes à la chaleur. Le corps humain est mystérieux, et chacun réagit différemment. Moi qui voyage souvent au Mexique, je m’étonne toujours de voir des locaux porter des doudounes et des casquettes en plein cagnard. Et quid des sapeurs congolais ? Autant d’exemples qui m’amènent à penser que la complexion a une influence majeure.

  • L’âge : les personnes âgées sont souvent plus frileuses et portent plus de couches, même en été.

  • L’humidité : un facteur crucial. Un 30 °C sec à Madrid n’a rien à voir avec un 30 °C à Montréal ou Osaka.


Et ceux qui restent des heures sous le soleil au Pitti (rappel : 29°C pour 70% d’humidité)? …eh bhen, je ne sais pas! Il faudrait leur poser la question. Mon ami Richard Berthiaume, rédacteur aux carnets d’Yves était au Pitti ce mois de juin dernier :

«Ça ne m’a pas dérangé particulièrement. Pourtant, nous avions un bon kilomètre à marcher dans la ville pour arriver à la Fortezza Da Basso. [...] Nous nous tenions à l’ombre le plus souvent et oui, nous faisions plusieurs roulements entre intérieur et extérieur. [...] Je crois surtout qu’on arrive avec un certain état d’esprit et on n’y pense plus. [...] le chapeau à beaucoup aidé. [...] bien sûr, des gens disaient qu’il faisait chaud, mais je n’ai vu personne “souffrir”. »

source : @richardberthiaume1

Son de cloche différent chez Ivan, associé Blandin&Delloye à Caen qui était également sur place : 

«Il faisait [...] ressenti 39°C. Là, je vous assure qu’on était tous – TOUS ! – en train de cuir à feu doux dans nos costumes. [...] vous pouvez choisir les matières les plus légère du monde, vous allez avoir chaud, c’est obligatoire. [...] Quand on voit les photos, on a l’impression que tout le monde est ultra à l’aise, [...] honnêtement, tout le monde est en souffrance. [...] Ce serait mal vu d’enlever la veste, comme personne ne le fait. [...] C’est le jeu. »

source : Blandin&Delloye

Dans tous les cas, il ne faut pas prendre tout ce qu’on voit, lit ou entend sur Internet pour argent comptant. On ne comprend jamais aussi bien les choses que lorsqu’on les a éprouvées. Pas de réponse définitive à la question « Peut-on porter une veste l’été ? », donc. Mais une invitation à vous faire votre propre opinion… sur le terrain.

Le lin, entre mythe et réalité

La phrase qu’on entend souvent — « le lin est la matière reine de l’été » — est à nuancer.

Le lin a bien des qualités qui en font une matière de choix durant la saison chaude : fibre végétale, légère, thermorégulante, absorbant jusqu’à 20 % de son poids en eau, séchant vite, tenant bien la teinture, etc.

Elle se  classe première au palmarès des fibres d’été toutes propriétés confondues : 

source : club Nonchalance

Mais de là à croire qu’un costume en lin viendrait avec un système de climatisation intégré… je ne m’y risquerais pas ! La matière n’est qu’un facteur parmi d’autres. En vérité, c’est même rarement le plus déterminant. Une laine bien choisie peut être plus fraîche qu’un lin mal coupé ou trop épais.

C’est là que les notions de grammage et de volume deviennent essentielles.


Plus un tissu est fin, plus il est frais. Rien de bien sorcier. Mais est-ce qu’une laine fine est plus fraîche qu’un lin épais ? Oui. Certaines laines sont même conçues pour l’été. On parle alors de laine sèche ou tropicale, comme le fameux Fresco®, marque déposée de la maison Hardy Minnis, à Huddersfield.  

source : fiveone-m

À l’inverse, on peut trouver des lins plus épais, moins respirants.


Le grammage, c’est le poids du tissu au mètre carré. Le Fresco® descend à 190 g/m² ; certains lins dépassent les 300. Mais ce qui compte encore plus que le grammage, c’est le volume.

Quand il fait chaud, il faut que rien ne te colle à la peau. Un vêtement trop près du corps crée un effet de serre. Au contraire, des pièces amples laissent l’air circuler, et donnent même un très beau tombé. L’été, tu dois flotter dans tes fringues. Attention cependant à coordonner les volumes entre le haut et le bas.

source : Esquire - Fabien Frankel

Laisse-moi te raconter une anecdote.

Il y a trois ans, je suis allé en Espagne, sur la Costa Brava. J’avais emporté un magnifique pantalon taille haute en lin couleur tabac de chez Spier & Mackay, et il me tardait de déambuler sur la promenade en bord de mer en arborant cette pièce que je considérais comme l’une des plus belles de ma garde-robe. Le grand soir arrive. Il est 19 h. J’enfile mon falzar et je sors me balader, pensant que la soirée m’appartenait.

source : Spier&Mackay

Erreur d’appréciation majeure ! La nuit était torride. Une vague d’humidité s'abattait sur moi, mais j’essayais de rester droit et fier dans la chaleur étouffante de la côte catalane. Ma chemise en lin était assez ample, donc pas de souci de ce côté-là, mais mon pantalon, lui, était bien trop fuselé. Sa lourde étoffe de 220 g/m² me collait aux cuisses et emprisonnait la sueur et l’humidité dans une espèce de hammam ambulant. C’est la première fois que je ne souffrais que des jambes.

Arrivé sur la place, on me fit bien quelques compliments, mais je sentais surtout que les gens étaient mal à l’aise de me voir en pantalon. Quand on me demandait : « Tu n’as pas trop chaud ? », je répondais : « Si ! C’est affreux, j’ai envie de crever ! Sortez-moi de là !!! » … bon, d’accord, je n’ai pas vraiment dit ça. Je me suis contenté de sourire et de laisser croire que j’avais la situation parfaitement sous contrôle.

Ainsi, j’ai appris l’importance du volume et du grammage à mes dépens. Je me dis que c’était un passage obligé pour mieux guider mes choix par la suite. Rien ne vaut l’expérience directe pour véritablement comprendre. Après cette mésaventure, j’ai fait l’inverse : je me suis fait faire des pantalons un peu trop grands. Et peu importe ! J’en ai tiré une certitude : je ne veux plus JAMAIS revivre ça (rires) !


Et le Summertime de Loro Piana? 

La collection Summertime de Loro Piana fait effectivement beaucoup parler d’elle. C’est une collection d’étoffes mélangeant subtilement le lin, la laine et la soie. Le rendu est - comme on peut se l’attendre avec la fameuse filature italienne - absolument impeccable en plus d’offrir toutes les qualités des trois matières : la fraîcheur du lin, la solidité de la soie et le tombé de la laine.

source : loro Piana

Je ne l’ai pas porté personnellement, mais on le dit aussi fin qu’une feuille de cigarette avec son grammage de 167 g/m².
Alors, je ne sais pas si ça se porte à 40 degrés, mais, chose et sûr, c’est qu’il va falloir casser la tirelire pour en avoir le cœur net. En effet, une veste coupée dans le fameux drap de luxe te coûtera environ 2 600 CAD pour une veste, 1 300 CAD pour une pantalon et presque 4 000 CAD pour un costume deux pièces sans oublier les taxes.

source : ronandrich

Faut-il ne jamais porter de veste l’été ?

Il ne faudrait pas tomber dans des extrémités qui consisteraient à se priver de veste ou de costume en toutes circonstances. Surtout qu’il existe de nombreuses occasions où le port de la veste est de mise, voire obligatoire. 

Les mariages sont l’exemple typique. Si vous êtes invité et qu’il y a un dress code strict, vous n’allez pas faire le difficile. Et là, vous serez bien content que votre veste soit en lin plutôt qu’en flanelle. Pareil si vous êtes le marié : si une partie de l’événement se déroule en extérieur, vous ne voudrez pas sacrifier votre élégance au moment du plus beau jour de votre vie. Croyez-moi, vous la porterez, cette veste ! Et je le dis d’expérience : quand l’adrénaline embarquera, vous ne la sentirez même plus.

On peut aussi citer les occasions formelles du type affaires, opéra, réceptions… Elles se déroulent généralement en intérieur, mais il est tout de même plus agréable d’opter pour des matières légères pour gagner en confort lors des allers-retours.

Pourquoi vouloir remettre en question le port de la veste l’été ? 

On part du principe – à mon avis erroné – qu’on ne serait pas élégant sans veste. Si ce que l’on appelle « l’élégance » renvoie à une coupe qui met le corps en valeur (en particulier les épaules), alors oui, on peut retravailler la silhouette sans veste. Si c’est plutôt une idée de sophistication, alors là encore, on peut composer des ensembles très élaborés sans veste.

Je pense que l’on considère la veste comme indispensable parce qu’elle attire naturellement le regard. Elle couvre une grande surface du corps, encadre le visage et impose une structure à la silhouette – un peu comme un canapé dans un salon. Cela en fait souvent la pièce maîtresse d’une tenue. Pourtant, je suis convaincu qu’on peut parfaitement articuler une tenue autour d’une autre pièce.

Le pantalon plutôt que la veste.

Pourquoi s’enfermer dans des positions rigides ? Il n’est pas question de s’interdire quoi que ce soit. Je préfère proposer que condamner. Et ce que je propose, ce sont des tenues d’été où la pièce maîtresse n’est plus la veste, mais le pantalon.

Il ne suffit pas de tomber la veste : il faut que le pantalon ait quelque chose à dire. Fais-moi confiance : lorsqu’on le conçoit intelligemment, un pantalon aura plus de caractère qu’une veste !

C’est une pièce qui redessine immédiatement la silhouette. En choisissant une taille haute et en respectant un ratio buste/jambes de 1/3 – 2/3, le pantalon devient la pièce la plus visible de l’ensemble et donne une allure athlétique.

source : Scavini

Un beau ceinturage ajoutera du cachet : entre le Gurkha, les pattes de serrage, le Hollywood ou le D-ring, tu as l’embarras du choix.

source : luxire.com

Le pantalon d’été est un terrain propice à toutes les expérimentations. Joue sur les volumes ou sur la coupe pour trouver ton style.

source : @dsqflo

Autre avantage : un pantalon coûte souvent moins cher qu’une veste taillée dans le même tissu. Pour le prix d’une veste, tu peux te faire faire deux pantalons. Tu trouveras des options économiques chez Spier & Mackay, SuitSupply ou encore Luxire. En demi-mesure, SURMESUR propose des pantalons en coton autour de 250 CAD et en lin à partir de 333 CAD.

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